Yann dans la nuit de Julie Brafman
- Laurence Ray
- 2 nov.
- 3 min de lecture
Pour son premier récit, Julie Brafman, chroniqueuse judiciaire et journaliste au service Enquêtes de Libération, s'est intéressée à Yann Andréa, l'homme qui a partagé les dernières années de la vie de Marguerite Duras.
C'est en voyant le film de Claire Simon Vous ne désirez que moi que l'idée de connaître davantage Yann Andréa est née dans l'esprit de la journaliste. Comme beaucoup de lecteurs connaissant un tant soit peu l'oeuvre de Marguerite Duras, elle savait qu'il était bien plus jeune qu'elle (trente-huit ans les séparaient) et qu'il avait vécu plusieurs années aux côtés de l'écrivaine (seize ans exactement).

Dans son livre qu'elle a intitulé Yann dans la nuit (éditions Flammarion), qui rappelle combien cet homme, vivant dans l'ombre de Marguerite Duras, avait traversé l'existence entouré de mystères, elle s'intéresse surtout à sa vie avant la rencontre avec l'écrivaine et aux années qui ont suivi sa mort. Elle est donc partie sur les traces de ce personnage qui aura été mystérieux jusqu'à la fin. Il côtoyait beaucoup de monde mais il est mort seul, à Paris, dans le studio que lui avait laissé Duras. Il a été découvert par la police, sûrement quelques jours après son décès.
Le livre de Julie Brafman raconte tout cela, la vie de Yann Andréa avant, pendant et après Marguerite Duras mais va bien au-delà d'une enquête journalistique qui se contenterait d'énumérer des informations, sans âme. Il entremêle plusieurs genres, c'est d'ailleurs sa plus grande qualité. Julie Brafman a fait le choix de la première personne du singulier, embarquant ainsi avec elle le lecteur dans ses recherches, ses tâtonnements, mais aussi ses émotions et ses souvenirs.
Elle évoque çà et là sa vie personnelle, sa rupture avec T., un critique de cinéma qu'elle a souvent accompagnée dans des festivals, et passe ainsi d'un paragraphe à un autre, de sa vie à celle de Yann Andréa. Ne dit-on pas que l'intime atteint l'universel ?
Dans Yann dans la nuit, les lieux ont leur importance, Caen, les Roches Rouges, Trouville, la rue Saint Benoît à Paris, la maison de Neauphle-le-Château, la Rive Gauche et ses restaurant mythiques, le bar du Ritz. Ils ont jalonné la vie de Yann Andréa, tout au long de sa vie avec Marguerite Duras et après elle. Il est aussi souvent question de nourriture dans le livre, notamment de plats qu'affectionnait l'écrivaine. Tous ces détails, qui n'en sont finalement pas, façonnent une vie. Yann André a vécu seize ans avec Marguerite Duras. Etudiant, il l'a rencontrée lors de la projection du film India Song au cinéma de Caen.
Il lui a écrit pendant des années, jusqu'à ce qu'elle lui propose de venir à Trouville pendre un verre avec elle. Il ne la quittera plus, enfin, ce n'est pas exactement cela car elle lui demandera plusieurs fois de partir, d'aller dormir à l'hôtel, lassée et exaspérée par l'homosexualité de ce jeune homme qui lui est pourtant toujours revenu. Elle décidait et il agissait. Elle l'a rapidement nommé Yann Andréa pour qu'on retienne son nom. Yann Lemée sonnait moins bien à son goût. De nos jours, on parlerait spontanément de relation toxique.
S'agissait-il vraiment de cela ? La littérature, indispensable,vitale, était au cœur de leur relation. C'est elle qui les a réunis et elle a été, en quelque sorte, le fil conducteur de leur couple jusqu'à leur mort. Yann Andréa a inspiré plusieurs textes à Marguerite Duras ; quand, elle en était empêchée notamment pendant sa cure de désintoxication, c'est lui qui écrivait, sous sa dictée. Après sa disparition, il s'est mis à écrire ses propres livres où il était évidemment question de leur relation. Cet amour-là a eu un certain succès et a été adapté au cinéma par Josée Dayan. Il n'est jamais parvenu à être quelqu'un d'autre que cet homme qui a vécu avec Marguerite Duras. Y tenait-il vraiment ?
Julie Brafman soulève des questions, s'efforce d'aller au plus près de cet homme énigmatique et insaisissable. Et c'est passionnant ! Le livre prend une dimension particulière lorsque son enquête la conduit sur des archives précieuses, contenant des lettres et des carnets écrits par Yann Andréa, notamment après la mort de Duras. Elle en reproduit quelques extraits et, progressivement, au fil des pages et d'une enquête qui, on le devine, la touche de plus en plus, Julie Brafman rend son humanité et sa place à cet homme qu'on a trop vite et trop facilement oublié.




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