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"Mauvais élève" : rencontre avec l'écrivain Philippe Vilain

  • Laurence Ray
  • il y a 6 jours
  • 7 min de lecture

Dans Mauvais élève (éditions Robert Laffont), Philippe Vilain raconte comment grâce à la découverte de la littérature, le mauvais élève en échec scolaire, destiné à devenir, comme ses parents, employé de bureau, est devenu un brillant étudiant en lettres modernes, bien décidé à être écrivain. L'auteur revient ainsi sur les treize années les plus déterminantes de sa vie, celles où il parvient à s'extraire du milieu social dans lequel il vivait, où il fait l'apprentissage de la littérature et de l'écriture. Dans le livre, il consacre de longues et très belles pages à ses parents et surtout à son père, mais aussi à Annie Ernaux, qu'il rencontre alors qu'il est un jeune étudiant et qu'elle est une écrivaine célèbre, de trente ans son aînée. Il serait vraiment dommage de réduire Mauvais élève à cette histoire d'amour qui a fait déjà beaucoup parler et à laquelle Annie Ernaux elle-même a consacré un livre. C'est avant tout le parcours touchant d'un jeune homme issu d'un milieu modeste dont la découverte de la littérature a changé la vie.

Lors du dernier Festival du Livre de Nice, Philippe Vilain nous a parlé de Mauvis élève.


Qu'est-ce qui a déclenché l'écriture de ce livre ?

Philipe Vilain : C'est la nécessité de revenir sur les années déterminantes de ma vie. J'arrivais à l'âge de 50 ans ; je me suis dit que c'était le moment de me réapproprier mon histoire pour essayer d'abord de lui donner le sens que je n'avais pas forcément perçu au moment où je la vivais. Je raconte 13 années.


Vous racontez notamment que vous étiez en échec scolaire...

Philippe Vilain : J'étais complètement déconnecté du système. J'étais un décroché. C'était le mot qui était utilisé à l'époque pour désigner un élève comme moi. Après deux redoublements au collège, j'ai été relégué socialement dans un lycée technique en CAP-BEP de secrétariat. Les premiers jours pour moi étaient terribles là-bas, non pas parce que j'y allais, mais parce que je voyais mes camarades se réjouir d'effectuer une activité alors que moi, je me disais « je ne vais pas faire ça toute ma vie ». Je ne me trouvais pas normal par rapport à eux. Je n'étais pas meilleur qu'eux, mais je ne voulais pas faire ça toute ma vie. C'était impossible. Eux, ils étaient contents et je me sentais complètement différent d'eux. Et j'ai commencé à prendre conscience que c'était une forme de reproduction sociale, c'est-à-dire refaire le métier, les mêmes activités de nos parents qui nous avaient inscrits là. J'ai éprouvé alors une sorte de malaise. J'étais un mauvais élève, mais en même temps, j'étais assez pensif ; je réfléchissais beaucoup.



A un moment, il y a eu en vous comme un déclic. Vous vous êtes tourné vers la littérature. Comment l'expliquez-vous ?

Philippe Vilain : Je me suis tourné vers la littérature assez naturellement. C'est assez mystérieux. N'étant pas lecteur, j'aurais pu me tourner vers une littérature plutôt commerciale, un peu avec des narrations faciles. Or, je suis allé tout de suite vers la grande littérature : Sartre, Marguerite Duras, Kafka...Et ça, voilà, je ne suis pas en mesure de l'expliquer, parce que c'est une sorte d'instinct, d'intuition naturelle. Je me suis dit que c'était par cette littérature-là que j'allais me sauver, qu'elle portait en moi tout l'instrument de ma réussite, en quelque sorte. Je lisais de la poésie. J'étais bien le seul sur l'université professionnelle, à lire du Verlaine et du Rimbaud. J'ai eu cette prise de conscience. Mon grand premier échec, c'était de ne pas pouvoir devenir footballeur. Je voulais faire sport études, et ça n'avait pas fonctionné. En revanche, j'ai retenu quelque chose, c'est-à-dire que ça devait en passer par un gros travail, un gros effort personnel qu'à l'époque, je n'étais pas en mesure de fournir. Progressivement, et à partir de ce moment-là, j'ai commencé à reprendre la filière normale, du cursus universitaire jusqu'à son terme, le doctorat. Ça a été l'autoroute. C'est assez étonnant. En treize ans, je suis passé de CAP-BEP à docteur en lettres.


Dans le livre, vous rapportez des mots très durs prononcés par votre professeur de français qui ne croyait pas en vous. Il vous disait : "Qu'est-ce qu'on va faire de vous ? Il vous reste l'armée !"...

Philippe Vilain : À l'époque, pour les garçons, il y avait l'armée. Parfois, c'était salvateur pour les mauvais élèves. Et donc, moi, ça m'effrayait. Mais ce qui était assez dérangeant dans ça, c'est que mon prof n'avait pas dit ces mots par ironie ou pour me blesser ; c'était un constat de dépit. Je me rappelle que j'étais en troisième. J'avais redoublé et j'étais encore pire que lors de a première. Je ne faisais rien parce que je n'avais aucune volonté. Je n'avais pas trouvé ma vocation. C'est quand j'ai trouvé une passion pour la littérature que s'est développée la nécessité. Et puis, le travail est venu tout seul, en fait. C'est ça que je voulais transmettre avec ce texte, c'est-à-dire que rien n'est jamais écrit d'avance. Rien n'est perdu pour les élèves qui sont en grande difficulté et décrochés du système scolaire. Mais, malgré tout, il ne suffit pas de dire non plus « quand on veut, on peut », parce que ce dont je suis certain, c'est que quand on ne veut pas, on ne peut pas. Il faut vouloir suffisamment pour élaborer une sorte de dispositif, de travail, de méthode, de régularité. Comme je fais des formations, je prends toujours l'exemple d'un entraîneur de foot qui s'appelle Arsène Wenger, qui dit que ce ne sont pas les plus doués qui réussissent dans les centres de formation. Ce sont ceux qui sont capables de maintenir un effort et une intensité durables. Ces mots, Arsène Wenger les dit pour le foot mais on peut les appliquer dans n'importe quel domaine. Ce sont des phrases qui m'ont marqué et qui m'ont aidé à me construire et que je dispense aujourd'hui.  Je pense que chacun d'entre nous a une inclination particulière. Une fois qu'on a trouvé sa passion, on peut supporter l'effort, pour pouvoir s'améliorer, s'élever et prendre confiance en soi. Ces deux passions, le foot et la littérature m'ont sauvé.


La chute du Mur de Berlin en 1989 a été une date importante pour vous, comme une prise de conscience...

Philippe Vilain : Pour moi, c'était un mur qui s'effondrait aussi en moi, un mur intérieur. Je me souviens, c'était fabuleux de voir tous ces jeunes agrippés au mur. Forcément, je m'identifiais d'une certaine façon à eux. Il fallait que moi aussi je fasse tomber un mur, mais le mien était culturel.


Annie Ernaux, que vous avez rencontrée lorsque vous étiez étudiant, vous a aussi aidé à dépasser ce mur culturel. Elle vous a introduit dans son milieu....

Philippe Vilain : Elle est arrivée à un moment de ma vie où j'étais déjà à l'université. J'étais en maîtrise. J'avais déjà fait le gros du travail et, comme je voulais être écrivain, j'écrivais déjà un peu. Mais évidemment, ce n'était pas encore bon. Et donc, elle a été, d'une certaine façon, la chance dans ma vie de malchanceux. C'est ce que les sociologues appellent le fait social. C'est celle qui va incliner un destin à un moment donné. Elle m'a permis d'abord de voyager beaucoup, de m'introduire dans le milieu littéraire et puis, de me former intellectuellement. Je commençais à être vraiment un bon élève à ce moment-là mais j'avais encore besoin de structuration. Elle m'a apporté cette rigueur en voyant la capacité de travail qu'elle mettait en œuvre devant moi. Elle me servait de modèle. La chance, ça se prend. Là, c'est une chance qui passe aussi par l'effort. Et puis, j'avais cette volonté de vouloir apprendre, cette détermination de m'en sortir par un chemin où je n'allais pas être aidé, finalement. Personne ne pouvait m'éclairer. Annie Ernaux m'a aidé après, quand j'avais commencé à prendre ce chemin. Quand je l'ai rencontré, j'étais à la fac, en j'avais déjà mon destin d'écrivain en marche.


Vous aviez cette envie très forte de vouloir apprendre, de sortir de ce déterminisme social. Dans le lycée que vous décrivez dans votre livre, les classes sociales sont très marquées....

Philippe Vilain : Le marquage de l'identité sociale est déjà très inscrit dans la géographie des campus. Là, c'était au lycée. C'était terrible déjà. Je me souviens très bien du bâtiment A. Ce n'étaient pas des très beaux bâtiments en général. Le A, c'était celui de l'entrée, le mieux placé. Le mien, c'était celui qui était relégué tout au fond, dans la ZUP. C'était celui qu'on cachait, là où il y avait tous les mauvais élèves, en quelque sorte. Au moment des pauses, parfois j'allais dans le bâtiment A parce que j'y avais des copains de foot. Ce n'était pas honteux mais je voyais bien qu'ils me regardaient différemment. Je me souviens aussi des tenues que les étudiants portaient : elles étaient révélatrices de la classe sociale à laquelle on appartenait. On ne s'habillait pas de la même façon, ou alors quand je commençais à m'habiller comme ceux du bâtiment A, c'était des vêtements volés ! Tout était inscrit en nous. Aller au bâtiment D, ça voulait dire manque d'argent, famille à problèmes...


Vous habitez à Naples depuis plusieurs années. Pourquoi cette ville ?

Philippe Vilain : Je me suis installé à Naples en 2018. Et je m'y sens chez moi. C'est ma famille. C'est impressionnant. Je me sens Napolitain. Dès 1994, quand je suis allé à Naples pour la première fois, j'ai senti que cette ville était faite pour moi. Je ne sais pas pourquoi. Je n'ai pas cessé d'y revenir. Et puis, arrivé à 50 ans. Je me suis dit que c'était le moment d'y aller. j'enseigne à l'université de Federico II de Naples. J'ai plus vécu à Paris qu'à Naples mais je me sens vraiment Napolitain. C'est très étonnant.


Vous avez eu plusieurs vies en quelque sorte.

Philippe Vilain : Oui, vraiment. Et je me dis que je me retrouve beaucoup dans les Napolitains parce qu'ils ont une identité qui a été méprisée d'une certaine façon par une partie de l'Italie. Je n'ai pas été méprisé mais je sais ce qu'ils peuvent ressentir aussi. Je m'identifie à eux sans doute d'une certaine façon. Par mon parcours, qui a été parfois un peu difficile, je me reconnais en eux. Et puis, sans tomber dans les clichés napolitains, parce qu'il y a des larcins, de la petite délinquance. Évidemment, je me retrouve dans les gars de la rue aussi. Je sais que j'aurais pu mal tourner. Si je n'avais pas trouvé la littérature, je ne sais pas ce que j'aurais fait. J'ai eu mon diplôme facilement mais je n'aurais pas fait comme mes parents. Ca ne m'intéressait pas.  La plupart de mes camarades étaient choisis par leur métier. Ce n'est pas eux qui choisissaient. Ils étaient porteurs des désirs de leurs parents. Ce n'est pas méprisant de dire ça, parce que je l'ai vécu. Je parle en connaissance de cause.


Mauvais élève de Philippe Vilain, éditions Robert Laffont

Mauvais élève Philippe Vilain éditions Robert Laffont



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