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Les liaisons dangereuses : interview de Delphine Depardieu

  • Laurence Ray
  • 10 nov.
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 3 jours

En pleine tournée des Liaisons dangereuses, Delphine Depardieu n'a pas le temps (ni l'envie) de s'ennuyer. Lorsque nous l'avons contactée par téléphone, la veille de son arrivée au théâtre Anthéa, elle revenait de l'enregistrement d'un livre audio et elle s'apprêtait à se rendre à Romorantin pour une représentation des Liaisons dangereuses le soir.


Même en tournée, elle reste très impliquée dans l'Académie Aparté, l'école de théâtre qu'elle a créée en 2023 avec Avec Arnaud Denis, le metteur en scène des Liaisons dangereuses, Axel Blind et Charles Bonnier. Avec Arthur Cachia, elle vient de mettre en scène Le Schpountz de Marcel Pagnol. Si l'on ajoute les tournages pour la télévision et le cinéma, elle n'a (presque) pas une minute à elle. Heureusement, il lui reste du temps pour son principal rôle : maman.


Passionnée par son métier, Delphine Depardieu nous a parlé de la Marquise de Merteuil, un personnage fort et complexe, dont toutes les comédiennes rêvent, et qui lui a valu le Prix du Brigadier et le Molière de la comédienne dans un spectacle de théâtre privé.


Les liaisons dangereuses Delphine Depardieu

Vous interprétez la Marquise de Merteuil depuis près de deux ans. Votre regard sur elle a-t-il changé depuis le début de cette aventure ?


Delphine Depardieu : Bizarrement, il n'a jamais changé parce que j'ai une histoire particulière non pas avec ce personnage, mais avec ce rôle. A la base, ce n'est pas moi qui ai été choisie pour le rôle. Ils ont commencé en septembre à Lyon et au bout de trois semaines, le producteur m'a appelé en me disant : « Delphine, est-ce que tu peux reprendre le rôle dans deux jours ? » Par amitié pour lui, par amour des challenges et sûrement aussi un peu poussée par mon ego, j'ai dit oui. Le lendemain, j'étais à Lyon pour jouer le surlendemain.


J'ai plongé dans ce rôle comme quand on plonge dans un lac gelé ! J'ai toujours eu sur la Marquise de Merteuil un regard positif, même de sympathie. Je pars du principe qu'on n'est pas méchant juste pour être méchant. En tout cas, pas ce personnage. L'être humain est très complexe. La Marquise de Merteuil est méchante parce que c'est une femme qui souffre. Mon but était de la défendre, de toute façon. Il faut toujours défendre les gens qu'on joue, sinon on est malheureux.


Comment expliquez-vous la fascination qu'on peut avoir pour elle ou pour Valmont ?


Delphine Depardieu : Ce sont des personnages noirs qu'on aime regarder évoluer. C'est comme Hannibal Lecter du Silence des agneaux : on adore avoir peur de lui et le détester mais il est fascinant parce qu'il fait appel à des choses qui sont sûrement en nous très enfouies et qu'on empêche de sortir. L'animalité humaine, elle se cache au fond et on l'a dressée. Donc, ça nous fascine de regarder ces endroits où nous ne pouvons plus aller parce que ça ne se fait pas humainement. C'est ce que permet la littérature, le cinéma et l'art en général.


Pendant plusieurs mois, au théâtre, vous jouiez en même temps dans Le Père Goriot et Les liaisons dangereuses. Pour nous, cela semble un véritable défi. Comment parveniez-vous à vous mettre dans la peau de ces personnages différents ?


Delphine Depardieu : Dans la vie, l'habit ne fait pas le moine mais au théâtre oui ! Enfin, je dirais plutôt que les chaussures font le moine. Très souvent, quand j'ai un rôle en costume, je demande qu'on me fournisse les chaussures pour très vite commencer à travailler. En mettant les chaussures du personnage, on l'intègre, on pénètre dans sa peau. Pour moi, la peau, c'est les chaussures ! Quant au fait de jouer dans deux pièces en même temps, tout se passe aussi dans les cases du cerveau. Quand je devais jouer Le Père Goriot, j'ouvrais la case de la mémoire Balzac.


Grâce à la mise en scène, aux habits, aux chaussures, grâce au travail technique que je faisais par rapport à ma mémoire, grâce à mon expérience de la scène, eh bien, c'est cette porte-là qui s'ouvrait. Quand je finissais de jouer Le Père Goriot, je la fermais, et j'ouvrais celle de Merteuil. C'était vraiment ça ! Tout cela se fait naturellement. Je ne pouvais pas me tromper. Je mettais en place des automatismes, dont j'avais besoin pour retrouver la mémoire du corps. Celle sur la mise en scène du Père Goriot n'est absolument pas la même que celle des Liaisons dangereuses. C'est un peu comme si cette mémoire était imprégnée, tatouée en moi.


Delphine Depardieu
Delphine Depardieu dans la pièce "Les liaisons dangereuses"

Que retenez-vous de cette expérience que vous avez vécue pendant plusieurs mois ?


Delphine Depardieu : Je jouais les lundis et mardis dans Le Père Goriot et le reste de la semaine dans Les liaisons dangereuses. Je n'avais pas un jour de congé mais c'était une expérience formidable au niveau énergie parce que je n'étais absolument pas fatiguée. J'étais dans un mouvement comme un sportif. Je faisais très attention à ma santé, à ce que je mangeais, à mon sommeil. Il fallait tenir jusqu'au bout. Ça a très bien fonctionné. Quand Le Père Goriot s'est arrêté et que j'ai eu la possibilité d'avoir des jours de congé, c'est là que j'ai commencé à être fatiguée parce que j'ai relaissé tomber la pression.


Avec Arthur Cachia, vous venez de mettre en scène Le Schpountz. Pourquoi le choix de ce texte de Marcel Pagnol ?


Delphine Depardieu : Les organisateurs du Festival à la Bonne Mère, à Marseille, avaient contacté Arthur Cachia en lui disant qu'ils avaient envie de monter un Pagnol pour le festival. Il leur avait proposé Le Schpountz. On se connaît bien et un soir, lors d'une fête, il m'a dit : « tu ne voudrais pas lire le rôle de Françoise ? » Je lui ai répondu que j'allais regarder. Je connaissais très très bien Le Schpountz. C'est un film que j'adore et qui m'accompagne depuis que je suis enfant. J'ai toujours voulu être comédienne, donc un film sur un comédien écrit par Pagnol, je ne pouvais que le regarder !


Quand Arthur m'a parlé de ce projet, j'y ai beaucoup pensé. Selon moi, pour faire de la mise en scène, il faut des idées, des partis pris ; je pensais vraiment que je n'avais pas les armes. Et puis, un jour, Arnaud Denis, qui est le metteur en scène des Liaisons dangereuses mais aussi un ami, m'a dit qu'une mise en scène, c'est avant tout raconter une histoire. Il m'a tout de suite calmée avec cette montagne que je voyais devant moi. Il m'a aussi dit : «  Toi tu sais, tu as de la mise en scène en toi, donc vas-y ! ».


Je suis allée voir Arthur et lui ai dit : « qu'est-ce que tu en penserais si on faisait la mise en scène tous les deux ? ». Le fait qu'on soit à deux a permis à Arthur d'être totalement libre. Comme il était sur scène, il a bien fallu faire une direction d'acteurs.

Quant aux décisions de mise en scène, on les a prises ensemble. Notre équipe a très bien fonctionné. C'est vrai que cette envie de mise en scène, elle était là depuis longtemps et puis par un concours de circonstances, je me suis plongée dedans, parce que ce texte vit avec moi depuis que je suis petite. Après la tournée, la pièce ira à Avignon l'été prochain puis à Paris. Le texte est magnifique, Pagnol est magique et les comédiens sont formidables !


Cette expérience vous-a-t-elle donné envie de vous lancer seule dans la mise en scène maintenant ?


Delphine Depardieu : Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est la direction d'acteurs. Essayer d'amener les comédiens vers l'image qu'on a dans la tête, c'est passionnant. Ça m'a donné envie de faire d'autres mises en scène, oui, mais maintenant je me mets une autre petite montagne en me disant qu'il faut que je trouve un texte qui me fasse autant vibrer que Le Schpountz.


Balzac, Choderlos de Laclos mais aussi Pagnol... Vous êtes plutôt attirée par les auteurs classiques...


Delphine Depardieu : J'ai commencé par des choses très modernes, des boulevards, mais je pense que pour les gens de mon métier, je dois dégager quelque chose de classique. Les auteurs classiques sont quand même exceptionnels. Je trouve que c'est bien de transmettre à un public, surtout aux jeunes, ces grands personnages et ces grands textes.


En plus, j'ai l'impression que les auteurs classiques écrivaient pour les femmes des rôles grandioses. Chez Corneille et Racine, il y avaient de grands rôles de femmes. La mère de Néron, c'est un rôle exceptionnel, d'une puissance infinie. Elle n'est pas toute jeune. Dans Les femmes savantes aussi, il y a les jeunes, mais il y a aussi de grands rôles un peu plus vieillissants, tout aussi importants.


Beaucoup de comédiennes et comédiens lisent sur scène des textes de grands auteurs. Aimez-vous cet exercice ?


Delphine Depardieu : J'aime beaucoup. J'avais eu le privilège de lire à côté de Michael Lonsdale. J'avais adoré parce qu'on lisait chacun notre tour. Chaque fois qu'il lisait, j'étais la souris derrière le rideau et j'écoutais ce qu'il faisait. C'était fou, l'aisance qu'il avait ! Dominique Pinon est exceptionnel en lecture, lui aussi. Il ne bute jamais sur aucun mot. Il lit parfaitement. Pour moi, c'est un plaisir.


Votre emploi du temps est toujours bien chargé. Quels sont vos projets ?


Delphine Depardieu : J'ai pas mal de projets. Pour le moment, je ne sais pas encore celui qui sortira en premier. Dans ce métier, on dit toujours qu' il faut dix projets pour qu'il y en ait un qui sorte. Là, j'en ai un avec Maxime d'Aboville : ce sera une comédie historique sur Adolphe Thiers. J'ai aussi comme projets deux autres pièces, Ibsen et Tchekhov.


Vous avez remporté le Molière de la meilleure comédienne dans un spectacle privé. Même si votre envie de faire du théâtre est toujours très forte, qu'est-ce que cette récompense vous a apporté ?


Delphine Depardieu : Le Molière, pour être honnête, c'était une histoire de moi à moi. De moi par rapport à ma famille, qui est une famille de cinéma. Je transporte ces fantômes sur mes épaules de façon constante. Ils sont toujours là, même après le Molière, et seront toujours présents. On continue de m'appeler Julie.


Mais, de moi à moi, j'avais besoin de me prouver que je n'étais pas un imposteur. Avec ce Molière, mes pairs, les gens avec qui je travaille m'ont donné la possibilité de me dire que je fais partie de ce métier, et non pas parce que je m'appelle Depardieu.


Ce n'est pas parce que je viens de cette famille que je fais ce métier. J'ai cette passion en moi depuis toujours. Je n'ai jamais voulu faire autre chose. En recevant Le Brigadier et après le Molière, c'est comme si on me disait, c'est bon, tu fais partie du clan. J'avais vraiment besoin d'entendre ça. J'insiste dessus : c'était une histoire personnelle et une histoire familiale. J'avais besoin de prouver que moi aussi j'ai ma place dans ce milieu.


Les liaisons dangereuses mise en scène de Arnaud Denis avec Delphine Depardieu, Valentin de Carbonnières, Salomé Villiers, Michèle André, Pierre Devaux, Marjorie Dubus, Benoît Souilh actuellement en tournée.



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