Kika de Alexe Poukine : interview de l'actrice Manon Clavel
- Laurence Ray
- 30 oct.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 31 oct.
Au festival de Cannes, c'est souvent dans les sélections parallèles que se trouvent les pépites. Cette édition 2025 n'a pas failli à la tradition. Présenté à la Semaine de la critique, Kika, le premier long métrage de fiction de Alexe Poukine a été l'un des coups de cœur de cette édition. Puissant, dérangeant parfois, mais profondément humain, le film a faite forte impression.
Kika, c'est le prénom de la jeune femme dont la réalisatrice suit la trajectoire pendant tout le film . En couple depuis plusieurs années et mère d'une petite fille, elle est une assistante sociale dévouée. Sa vie aurait pu continuer ainsi mais elle tombe amoureuse d'un autre homme. C'est le coup de foudre : elle quitte son conjoint, s'installe rapidement avec son amoureux et tombe enceinte. Mais son bonheur ne dure pas car l'homme meurt soudainement. Kika ne sombre pas : elle doit avancer, pour elle, pour sa fille et pour l'enfant qui naîtra bientôt. Comme sa situation financière devient de plus en plus compliquée, elle est contrainte de quitter son logement, retourne vivre un temps chez ses parents puis, pour gagner de l'argent plus rapidement, se lance dans le travail du sexe.
Avec Kika, Alexe Poukine a offert à la comédienne Manon Clavel son premier grand rôle au cinéma. Presque de tous les plans, elle livre une magnifique prestation et parvient, par son talent, son énergie, son naturel, à faire de Kika, une femme complexe, touchante, et surtout très humaine. Rencontrée au Festival de Cannes, la comédienne nous a longuement parlé de Kika.

En peu de temps, il arrive beaucoup de choses à Kika : elle tombe amoureuse, elle tombe enceinte et puis il lui arrive un drame mais elle ne se laisse pas abattre...
Manon Clavel : Exactement, elle continue. Parfois on n'a pas le choix : on n'a pas le temps, on n'a pas les moyens de s'arrêter, de pleurer, de faire un deuil, d'être dans le choc et de le vivre. Parfois, pour des raisons de précarité, on doit trouver des solutions, ce qui est le cas de Kika. Son objectif de partir de chez sa mère, de trouver un appartement, d'être autonome à nouveau, fait qu'elle part sur une espèce de quête. Elle met de côté son deuil ; elle est dans une espèce de déni. Elle fait comme s'il n'existait pas, elle ne pleure pas. J'imagine que regarder quelqu'un qui ne vit pas ce qu'il est supposé vivre est un peu angoissant.
Si Kika doit trouver des solutions pour s'en sortir, c'est aussi parce qu'elle a une petite fille. Comment avez -vous construit cette relation avec la jeune actrice qui interprète Louison, la fille de Kika ?
Manon Clavel : J'ai souvent joué des rôles où j'étais soit enceinte, soit maman. Je pense que ce n'est pas pour rien. J'adore les enfants. Avec Suzanne, l'actrice qui joue Louison, on s'est entendues immédiatement. Il y a eu une alchimie entre nous. On était collées ensemble pendant le tournage. Si on n'était pas en train de tourner, on était en train de rigoler ensemble. J'adore tourner avec les enfants. C'est un territoire de jeu permanent. Je ne suis pas mère, mais je me sens très habitée par l'idée de l'être un jour.
Pour trouver de l'argent rapidement, Kika va se retrouver dans un monde qu'elle ne connaissait pas...
Manon Clavel : Oui, ce monde dans lequel elle se retrouve, elle ne l'aurait jamais découvert dans d'autres circonstances. Je pense que c'est justement dans des situations de grande révolution, de grande panique, de grand chagrin qu'on peut vivre des situations aussi inédites. On a le cœur tellement à vif, à mon avis, qu'on a une espèce de force qui sort de ça. Et donc elle est mise en danger dans un monde qui n'est pas le sien, qu'elle ne connaît pas ou elle n'a aucun code. Mais au moins, elle y va et elle avance. Et il va s'avérer qu'en fait, elle se retrouve là, on peut dire par hasard, mais quelque part, c'est exactement ce qu'elle a besoin de vivre pour aller mieux. Parfois on se retrouve quelque part mais on pense que c'est un hasard. Mais en fait, c'est notre inconscient qui nous amène là. Et elle, à mon avis, c'est exactement ce qui s'est passé.
C'est votre ressenti ou c'est la réalisatrice Alexe Poukine qui vous a apporté cet éclairage sur Kika ?
Manon Clavel : Un jour, alors qu'on parlait beaucoup du film et du rôle avec Alexe, j'ai réalisé ça. A mon avis, Alexe le savait depuis longtemps, mais elle n'est pas quelqu'un qui impose. Au contraire, elle dirige de manière douce, belle et libre. Donc, on comprend les choses en temps et en heure, chacun à son rythme. Alexe a vraiment cette confiance et cette ouverture-là, en tant que réalisatrice. Et moi, à un moment donné, j'ai compris que Kika avait été mise sur cette route et que c'était exactement la route qu'il lui fallait.
Quand elle arrive dans ce milieu, on voit qu'elle tâtonne au début. En tant qu'actrice, avez-vous cherché à vous renseigner pour aborder ces scènes ?
Manon Clavel : Alexe savait que je voulais me renseigner mais elle m'a dit qu'elle n'y tenait pas parce qu'elle voulait que je sois aussi perdue que Kika. Je suis vraiment arrivée dans ce monde comme Kika, c'est-à-dire sans codes, en inconfort total. C'était du sable mouvant. Je n'étais pas à l'aise. C'est ce qu'Alexe voulait. Petit à petit, à force de faire des scènes, j'ai rencontré des gens qui sont dans ce milieu-là et en parlant avec eux, j'ai énormément appris sur l'extrême soin et l'extrême douceur qu'il y a dans ce milieu. Alexe donne la parole à chacun des hommes que Kika rencontre. Quand j'ai découvert le film, j'ai vu combien elle avait mis en scène cette solidarité, cette bienveillance.
Pendant tout le film, on suit le cheminement de Kika, jusqu'à une scène particulièrement forte, où, enfin, elle lâche prise et se laisse aller à ses émotion. Comment vous êtes-vous préparée pour cette scène ?
Manon Clavel : On a tourné cette scène à la fin, après deux mois de tournage. On a répété pendant une semaine. Alexe m'avait donné des indications par rapport à cette scène : c'était comme un chagrin qui vient de très loin, des profondeurs de l'enfance. Et une scène comme ça, on ne peut pas la préparer en deux jours. J'ai d'abord pris peur. Puis, quasiment tous les jours, je la répétais toute seule dans mon appartement pour trouver le chemin. Kika ne pleure pas pendant le film tandis que moi, Manon, je suis quelqu'un qui pleure beaucoup dans la vie. Là, j'ai fait l'exercice de ne pas du tout pleurer pendant deux mois. J'ai un peu accompagné Kika dans ce qu'elle vit, dans cette solitude et dans cette espèce de désert de larmes. Je me suis dit qu'il fallait que j'essaye tous mes outils d'actrice pour cette scène qui est en quelque sorte l'acmé du film. J'ai puisé dans mes propres cauchemars pour la préparer. Le jour du tournage, j'ai dit à l'équipe que j'avais trois prises à leur donner. On n'avait jamais vraiment répété cette scène en conditions. On a fait une version où la caméra était très proche. Ça s'est arrêté puis il y a eu un débat puis on a fait une deuxième version et cette fois la caméra était loin. Là, j'étais très fatiguée, un peu dans un autre état. Ensuite, il y a eu une troisième version avec une variation de jeu. C'est celle-là qui était la bonne. Alexe trouvait que si c'était trop proche, c'était difficile, presque violent pour les spectateurs, de voir de si près.
Justement, en tant que spectateur, cela ne nous vient pas à l'esprit de juger Kika...
Manon Clavel : C'est un film qui nous ouvre le regard sur elle, ses décisions, sans la juger. De même, tous les hommes qu'elle rencontre, elle ne les juge pas. Il y a beaucoup de tendresse dans son regard par rapport à ces hommes. C'est un film sur le non-jugement. On ne peut pas juger les choix des gens.
Dans votre carrière, Kika aura incontestablement une place à part. Vous faites également du théâtre. Quels sont vos projets ?
Manon Clavel : Pour l'instant, il y a un projet de théâtre et un projet de cinéma. Au théâtre, je vais jouer dans la dernière pièce de Marius Von Mayenburg, Ellen Babic, mise en scène par Patrick Pineau avec notamment Constance Dollé. L'autre projet, c'est du cinéma. Hamé, du groupe La Rumeur et Marion Boyer qui fait ses débuts en tant que réalisatrice, ont écrit une grande histoire d'amour entre Sofian Khammes et moi. Ça va se tourner d'ici un an, je pense.
Kika de Alexe Poukine avec Manon Clavel, Makita Samba.... au cinéma le 12 novembre




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