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Rencontre avec Jérémie Renier pour son documentaire D'un monde à l'autre

  • Laurence Ray
  • il y a 4 heures
  • 7 min de lecture

L'année dernière, Jérémie Renier faisait partie des membres du jury de la 6e édition du festival Cinéroman. Cette année, c'est en tant que réalisateur qu'il était à Nice. Après le festival d'Angoulême, il est venu présenter au Pathé Gare du Sud de Nice D'un monde à l'autre, un film documentaire bouleversant, dans lequel il relate son expédition en Arctique aux côtés de l'explorateur Loury Lag.

Les rencontres ne sont jamais vraiment le fruit du hasard. Anéanti après la mort de son meilleur ami, l'acteur Gaspard Ulliel en janvier 2022, dans un accident de ski, Jérémie Renier croise le chemin de cet aventurier habitué aux sensations extrêmes qui lui propose de l'accompagner sur certaines étapes de son expédition en Arctique. Ponctué par les commentaires en voix off où Jérémie Renier se livre avec pudeur sur ses émotions, ses peurs et ses doutes, D'un monde à l'autre montre les étapes de ce voyage dans le grand blanc, physique mais aussi spirituel. Coup de cœur de la dernière édition de Cinéroman, le film a bouleversé le public. Il n'a malheureusement pas encore de date de sortie. Nous avons rencontré Jérémie Renier à l'hôtel Négresco.

Jérémie Rénier D'un monde à l'autre Festival Cinéroman Nice

Se lancer dans une telle aventure et dans de telles conditions a été un véritable exploit. Avez-vous toujours eu un côté sportif et aventurier ou était-ce une grande première pour vous ?

Jérémie Renier : J'ai toujours été aventurier ou je me suis fantasmé un peu aventurier mais sans avoir fait des exploits comme celui-ci. Plus jeune, j'ai fait le Kilimandjaro et puis j'ai aussi fait beaucoup de varappe. Pour cette expédition, j'ai minimisé ce dans quoi je m'aventurais mais j'avais un besoin fondamental de reprendre vie après ce que j'avais traversé. Pour moi, c'était presque comme une prophétie qui arrivait à un moment donné de ma vie où tout d'un coup il fallait que je parte. Très vite, quand j'ai rencontré Loury, il m'a fait cette proposition folle de partir avec lui. J'ai fantasmé très vite sur l'aventurier que j'avais en face de moi et sur la possibilité de vivre d'une certaine manière ça à travers lui.


Cette aventure a forcément nécessité un temps de préparation...

Jérémie Renier : La préparation a été très courte, parce qu'on a dû se caler sur des dates de départ que Loury avait déjà préparées. On ne peut traverser cet endroit qu'à un moment précis de l'année où l'océan est gelé. C'est pourquoi on a dû accélérer énormément pour mettre en place le projet. Et plus le temps passait, plus je me rendais compte de la folie dans laquelle j'allais !


Comment ont réagi vos proches quand vous leur avez annoncé votre décision de partir ?

Jérémie Renier : Avant qu'on parte, Loury m'a dit qu'il avait besoin de voir ma famille, mes enfants, ma femme. Comme il allait, d'une certaine manière, être responsable de ma vie, il avait besoin qu'ils soient en accord avec le fait que je parte. Il a donc rencontré mes enfants et il leur a dit : « Est-ce que vous êtes conscients que là où part votre père il y a 50% de chances qu'il ne revienne pas ? Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ? » Moi j'étais dans le feu de l'action avec des doutes, mais pour mes proches qui sont restés à la maison, c'était une autre aventure ! On s'est très peu parlé au téléphone parce que la distance faisait que c'était très compliqué de s'appeler. C'était très courageux pour ma femme et mes enfants d'accepter que je parte, et de m'accompagner au fur et à mesure dans tout ce qui s'est passé sur place ensuite.


Pourquoi avez-vous eu envie de vous confronter à une expérience aussi dangereuse ?

Jérémie Renier: On le comprend en faisant cette expérience justement. Il y a un appel du grand blanc, quelque chose de très mystique là-bas. Loury m'avait dit : « je pense que ce que tu recherches, c'est une forme d'introspection profonde que tu peux la trouver là-bas, parce que là-bas tu ne peux pas t'échapper avec ta condition physique, avec ce qui se passe dans ta tête, avec ton cœur, avec un tas de choses qui fait que tu te confrontes très violemment à toi-même ». Et ça, étonnamment, c'est quelque chose auquel je repense par la suite comme une forme de nostalgie. Je pense que c'est l'appel du Grand Nord !


A la fin du film, vous dites :« j'ai arrêté la machine à penser, je me sens mieux ». Avez-vous atteint ce à quoi vous vous attendiez ?

Jérémie Renier : Je ne savais pas à quoi m'attendre. Je suis parti vraiment avec une impulsion un peu inconsciente de survie, personnelle et intime, et donc j'avais espoir de trouver quelque chose. Après, c'était vraiment déjà une démarche, comme une façon de dire une dernière fois adieu à un ami à qui je n'ai pas pu dire au revoir. Et en étant sur place, tout d'un coup, au fur et à mesure de la douleur, du temps qui passe, de l'introspection, il s'est passé quelque chose de l'ordre du mystique où plus rien n'a vraiment d'importance. Je me souviens d'un moment où j'avais énormément mal au genou, où je n'en pouvais plus. Et tout d'un coup, c'est comme si je m'étais vu devenir un animal, un loup, et que Loury était aussi un loup qui se positionnait. Je n'étais plus qu'une forme, comme si les pas que je posais dans la neige devenaient des pattes de loup. C'était quelque chose de mystique : je n'avais plus de douleur, plus rien. Ca a duré 5-10 minutes, et après la douleur est revenue mais il y a eu comme une une forme de pleine conscience de l'instant. C'est très difficile à expliquer, mais c'était une forme d'hypnose très profonde.


Les conditions étaient difficiles. Vous avez souffert physiquement. Avez-vous été tenté de renoncer?

Jérémie Renier : Plus j'avais des informations, plus on préparait le tournage, plus je me rendais compte que c'était dangereux. Ca a été très difficile par exemple de trouver un caméraman qui pouvait nous suivre sur notre traversée. Et au fur et à mesure, en étant sur place, en voyant ce que Loury traversait, je me disais : « Mais en fait, c'est complètement dingue. C'est un suicide ».


Et puis, vers le milieu du film on découvre que Loury ne vous avait pas tout révélé au départ. Vous ressentez une forme de trahison....

Jérémie Renier : Oui, cette étape a remis beaucoup de choses en question. Puis au fur et à mesure, on est passé au-dessus jusqu'au moment où je me suis dit : « on arrête tout ». L'équipe est alors partie et je me suis mis à filmer seul. La production ne savait pas non plus si on allait continuer. Puis, à un moment donné, je me suis dit : « Non, il faut aller au bout de ce que j'ai entrepris. » Avec Loury, iI fallait qu'on réfléchisse, qu'on se pose. Toute cette histoire a permis de nous rencontrer encore plus profondément parce que quand on traverse des endroits comme ça, on rencontres encore plus intimement l'autre.


Loury est-il devenu un ami après cette aventure ?

Jérémie Renier : Quand on perd une personne qui nous est chère, on pense qu'on ne peut pas continuer et qu'on ne pourra plus avoir cette intimité-là avec quelqu'un mais elle se transforme, ça devient autre chose, une autre personne, un autre moment. Loury m'a permis avec cette expérience de me dépasser à plein de niveaux, physiquement bien sûr, mais aussi intérieurement et vis-à-vis de l'autre, d' être dans une forme d'acceptation de l'autre. Malgré ses erreurs, malgré la différence, on essaie de passer au-dessus pour rencontrer vraiment l'autre.


La scène où vous dites vos quatre vérités à Loury parce que vous vous êtes senti trahi, avez-vous hésité à la garder au montage ?

Jérémie Renier : Moi je n'ai pas du tout hésité. Quand j'ai vécu cette trahison, ça a été très très violent pour tout le monde. Je n'avais plus eu de contact pendant presque un mois et demie avec Loury. Là, j'ai commencé à avoir des doutes et j'ai pensé qu'il fallait que je le confronte en lui disant que je n'avais plus confiance en lui. La seule manière pour retrouver confiance, c'était de jouer le jeu, parce qu'on avait mis ce procédé en place, d'être transparent devant une caméra. Les deux caméramans ont posé les trois caméras dans la pièce où on était et je leur ai demandé de partir pour qu'il y ait une intimité, pour que Loury se sente à l'aise. Après, il a éprouvé une grande peur par rapport à ces images, il redoutait la façon dont on allait le juger. Mais j'ai l'impression qu'au contraire, on découvre aussi l'humanité derrière les erreurs.


Le film a été tourné, puis monté. Cela a pris du temps. Comment vous sentez-vous après tout ça ?

Jérémie Renier : Je suis heureux d'être en vie, avec le sentiment d'avoir traversé quelque chose d'inexplicable, mais de très puissant et de très intime, avec le fantasme de me dire ce que je vais pouvoir partager tout ça.


Par rapport à votre métier d'acteur, pensez-vous que cette expérience vous a changé ?

Jérémie Renier : Quand j'ai voulu faire ce film, j'étais dans une période de ma vie où je remettais un peu en question le sens de ce métier, pourquoi je le faisais, quelle était vraiment l'envie profonde, au-delà du fait que ça me permettait de vivre financièrement. J'ai trouvé des réponses qui me convenaient, en me disant qu'un métier ne peut pas remplir toutes les cases qu'on attend d'une vie. Par conséquent, il faut arriver à se diversifier, à toucher d'autres choses qui peuvent stimuler à d'autres endroits. Au départ, je n'avais pas du tout envie d'apparaître dans le documentaire. Je voulais juste filmer Loury. C'est mon producteur qui m'a dit qu'il fallait qu'on me voie. Il y a eu beaucoup d'étapes avant d'arriver à ce film-là. J'ai une vraie pudeur avec mon intimité. Je l'offre volontiers à mes proches, mais pas à tout le monde. Il y a eu une vraie démarche profonde, des étapes pour que j'accepte un peu plus d'être transparent. Et là, le fait de n 'être pas un rôle, mais juste moi, face à une caméra et oublier tout, ça m'a redonné comme un élan de liberté, étonnamment. Ca m'a redonné un élan en me disant qu'il y avait des endroits de ce métier aussi que je ne connaissais pas, cette liberté d'être soi. Certains metteurs en scène vous utilisent, mais vous correspondez quand même à un personnage et vous traversez une histoire qu'il a écrite. Et là, c'était la vie qui m'écrivait une histoire au jour le jour donc c'était assez dément. Mais aujourd'hui, j'ai beaucoup de plaisir à jouer. Je prends le temps pour faire des projets qui me paraissent importants et nécessaires.

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