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Killer Joe au théâtre Anthéa : rencontre avec Pauline Lefèvre et Benoît Solès

  • Laurence Ray
  • il y a 5 jours
  • 9 min de lecture

Du 27 septembre au 1er octobre, le public d'Anthéa va découvrir Killer Joe en avant-première, avant Paris et le Théâtre de l'Oeuvre. Si la pièce de Tracy Letts a déjà été adaptée au cinéma en 2011 par William Friedkin avec notamment Matthew McConaughey, ce sera la première fois qu'elle sera adaptée en France, au théâtre. Depuis plusieurs jours, Patrice Costa, qui signe à la fois la mise en scène et l'adaptation, et les comédiens, répètent la pièce dans la salle Pierre Vaneck du théâtre d'Antibes.

Killer Joe nous plonge dans l'Amérique profonde des années 90, au Texas plus précisément. Chris (interprété par Rod Paradot), minable petit dealer, doit trouver rapidement une forte somme d'argent. Mis à la porte par sa mère, il a trouvé refuge dans le mobil-home de son père (Olivier Sitruk), où il cohabite avec sa fille de vingt ans (Carla Muys) et sa nouvelle femme (Pauline Lefèvre). Avec son père, lui vient alors l'idée d'éliminer sa mère pour récupérer l'argent de l'assurance-vie qu'elle a contractée. Pour effectuer la besogne, ils vont faire appel à un tueur à gages, Killer Joe Cooper (Benoît Solès). C'est donc une comédie noire, dont l'atmosphère rappelle un peu celle des frères Coen et de Tarantino, qui attend le public d'Anthéa.

Entre deux répétitions, à quelques jours de la première représentation, nous avons rencontré Pauline Lefèvre et Benoît Solès, deux des interprètes de cette pièce très attendue. Le comédien connaît le théâtre Anthéa comme sa poche : il y a présenté ses pièces La machine de Turing, La Maison du Loup, et plus récemment, Le secret des secrets. C'était donc une évidence pour lui de répéter la pièce et la jouer à Antibes pour la première fois face à un public. Benoît Solès et Pauline Lefèvre nous ont parlé de leurs personnages et des thèmes abordés par cette pièce, qui va, à coup sûr, provoquer des réactions auprès du public.

Pauline Lefèvre et Benoît Solès Killer Joe Anthéa

Le public d'Anthéa va voir la pièce avant les Parisiens. C'est un peu grâce à vous si vous êtes en résidence ici ...

Benoît Solès : C'est une histoire d'amitié avec la famille Benoin, Daniel, Nathalie et Jean-Baptiste : Daniel qui dirige le théâtre, Nathalie qui a fait les costumes de ma dernière pièce, Le secret des secrets, et Jean-Baptiste, qui est un grand ami. Comme on est censé démarrer au Théâtre de l'Oeuvre à Paris le 9 octobre, c'est vraiment une grande chance d'avoir quatre représentations d'avant-première, dans un lieu où on se sent bien. On pourra arriver à Paris un peu plus forts : on aura vu comment le public réagit face à la pièce.


La pièce aborde des thèmes qui peuvent déstabiliser, déranger le public...

Benoît Solès : On a beaucoup discuté ensemble, surtout avec Pauline (Lefèvre) et Carla (Muys), de ce que cette pièce montre et raconte. Evidemment, notre première réaction, c'est de dire qu'on a besoin de montrer qu'on n'est pas d'accord avec ces comportements masculinistes, assez typiques du Texas des années 90, où l'homme est un peu tout puissant. Dans la pièce, on voit un père qui donne quasiment sa fille en caution à ce flic tueur que je joue. On a peut-être tous des façons différentes d'appréhender cette problématique si cruciale. En ce qui me concerne, tout en voulant absolument montrer que je suis contre ces violences, je me demande si la meilleure façon de les dénoncer, ce n'est pas justement d'assumer, d'accepter d'être ce personnage horrible, et de tendre un miroir aux spectateurs pour leur dire que c'est comme ça que les hommes se comportaient et c'est comme ça qu'il ne faut plus qu'ils se comportent. C'est peut-être plus courageux, même si c'est difficile pour nous d'assumer ce que cette pièce raconte. Après, il faut bien se dire que la pièce est une satire, une critique de la société américaine, mais aussi une espèce de farce. Tout est trop, ces personnages sont trop, les situations sont trop, et peut-être même peuvent provoquer le rire, comme dans ces films de Tarantino, où au 40e cadavre qui tombe, on commence à rire. Peut-être que cette distance de comédie, sans atténuer le propos, va apporter une espèce de détachement, de perspective qui fait qu'on montre au public un truc dingue, mais qui dit des choses graves. On est dans un décalage glamour, étrange, qui peut paradoxalement être encore plus terrible, mais qui peut aussi être extraordinairement drôle, comme chez les Coen ou chez Tarantino. Et d'ailleurs, le metteur en scène et adaptateur, Patrice Costa, a une culture très cinématographique et il nous a dirigé dans un jeu quand même à la fois théâtral et cinématographique.


Vous-mêmes, en tant que comédienne et comédien, appréhendez-vous la façon dont le public va recevoir la pièce ?

Pauline Lefèvre : La question de savoir comment on montre cette violence , elle est passionnante et j'ai l'impression qu'elle est assez récente et qu'il n'y a pas encore de réponse. Déjà, il y a une réponse intime, en fonction de son vécu, de son genre, et de ses opinions. Mais c'est assez nouveau de se dire comment on montre ça de la manière la plus sincère possible. Peut-être que de la montrer crue, ça peut faire un petit électrochoc à des personnes qui n'imaginaient pas que ça puisse être aussi horrible. Il y a une espèce de banalité dans cette violence familiale, qui, à mon avis peut faire réfléchir, provoquer, choquer, mais aussi faire un peu tilter. Ça, ça me plaît beaucoup !


Benoît Solès: Pour nous, comédiens, il faut jouer les situations, mais on a quand même aussi le droit, par la sensibilité, de faire passer des choses. En tout cas, c'est une pièce vraiment forte. C'est très courageux de la part de la productrice de la monter au théâtre privé, puisqu'on sera dans quelques jours à Paris au Théâtre de l'Oeuvre. Ici, à Anthéa, on est dans un théâtre public, avec des spectateurs qui sont habitués à voir beaucoup de spectacles très différents. Donc on va voir leur réaction, et ça sera déjà un premier renseignement. La violence est très présente à la télé mais le fait qu'elle soit jouée sur scène, qu'elle soit montrée en chair et en os, ça montre une forme de force du théâtre. Je pense qu'on va confronter le public à une expérience quand même assez forte. Il y a dans la pièce sans doute quelque chose qui est de l'ordre de la provocation. On a une longue liste d'appréhensions, et le rire ou l'absence de rire, ça fait partie de la liste !


Pauline, vous avez surtout joué dans des comédies. Killer Joe pousse les curseurs encore plus loin, notamment avec votre personnage, Sharla...

Pauline Lefèvre : Oui, au théâtre, je n'ai fait que des comédies. J'ai une compagnie en Bourgogne avec laquelle on est dans un registre un peu plus d'humour noir. C'est vrai qu'on a souvent été surpris par des éclats de rire à des moments qui étaient dramatiques, mais finalement qui peuvent aussi être hilarants si on a la capacité à rire de choses horribles. C'est une façon de sauver la mise, peut-être. En tout cas, Sharla, mon personnage dans Killer Joe, rit beaucoup, même si elle a un peu une vie de merde ! On est dans l'Amérique des années 90, au fin fond du Texas. On peut peut-être même se demander si ce n'est pas une certaine Amérique d'aujourd'hui, avec le culte de l'argent et en même temps une grande misère sociale, une absence d'espoir humain, culturel, intellectuel. On est dans une famille très, très dysfonctionnelle, c'est le mot qu'on emploie aujourd'hui, mais il est bien en deçà de la réalité. Sharla est très sexualisée, elle s'auto-sexualise aussi, parce qu'il n'y avait peut-être pas beaucoup d'autres possibilités pour ce personnage dans cette Amérique-là, dans ce contexte-là. La séduction, être un objet de désir, et du coup, un objet de manipulation, c'est sa porte de sortie. J'ai rarement joué un personnages aussi noir et aussi loin de moi. Il y a un côté jubilatoire à jouer quelqu'un qui est à l'opposé de ce qu'on est. Ma part d'ombre est en train de se révéler !


Benoît, c'est vous qui interprétez le tueur à gages...

Benoît Solès : Mon personnage est définitivement noir mais, pour pouvoir le jouer, je lui ai imaginé une logique et un passé qui m'aident à justifier ses actes. Quand un monstre agit, je pense qu'il agit en pensant qu'il est dans une forme de logique ou de folie. Dans la pièce, les personnages qu'on pense, au départ, être les victimes, ne le sont pas tant que ça finalement. Chris, le personnage interprété par Rod Paradot, et Sharla, peuvent apparaître comme étant les manipulés, mais ils ont aussi énormément de failles. Même les parents ont des failles, voire des gouffres de noirceur. Personne n'est complètement innocent, en fait.


Pauline Lefèvre : Récemment, on a eu une discussion tous ensemble où chacun défendait son personnage. On essayait de dire lequel était le plus méchant. On n'a jamais réussi à se mettre d'accord ! Moi, évidemment que je n'adhère pas à ce que fait Sharla, mais je la comprends et je me suis aussi imaginé sa vie, son passé.


Benoît, vous avez un emploi du temps très chargé en ce moment. Vous allez jouer dans Killer Joe et vous avez écrit le livret du Fantôme de l'Opéra qui sera joué dès le 22 octobre...

Benoît Solès : Le fantôme de l'Opéra, c'est , comme Killer Joe, une pièce de troupe. J'ai écrit le livret mais je communique beaucoup avec le metteur en scène, Julien Alluguette, même à distance. Et puis, la huitième saison de La machine de Turing va démarrer dans les prochains jours, avec un nouvel acteur, Brice Hillairet. Je suis très content qu'il rejoigne la distribution.


Avez-vous des projets d'écriture ?

Benoît Solès : Oui, dans mes rares temps libres, j'écris ma nouvelle pièce. Ce sera un seul-en-scène que je prévois plutôt pour 2027 parce qu'il y a une autre pièce qui va arriver avant sur le chevalier d'Eon en 2026 que je vais créer à Avignon. Cette pièce que je suis en train d'écrire parle du pardon, du dialogue des cultures à travers un portrait d'un jeune Turc, Ali Agca, qui a tiré sur Jean-Paul II en 1981. Ca raconte la trajectoire de cet homme, comment il a été embrigadé, comment il est devenu un tueur alors que c'était un petit paysan et comment il a traversé ce destin incroyable d'être allé tirer sur le Pape. Il l'a touché, mais il ne l'a pas tué. Mais au-delà de ce geste déjà fou, il y a un geste en réponse presque encore plus incroyable qui est le pardon que le Pape lui accorde. La pièce, en traversant sa vie, décrypte ce mécanisme d'endoctrinement et de pardon qui sont deux espèces de logiques totalement opposées.


Comment est née l'idée d'écrire sur cet attentat ?

Benoît Solès : En fait, c'est quand le Pape François est mort au mois d'avril dernier, je crois. Je regardais ses obsèques à la télé et ça m'a fait penser, en voyant les images de la place Saint-Pierre, à cet attentat qui m'avait marqué, comme tout le monde, en 1981. Et tout d'un coup, j'ai eu l'image de ce turc musulman d'extrême droite pardonné par ce chrétien. Personne ne sait ce que ces deux hommes se sont dits pendant les 22 minutes qu'a duré leur rencontre. Et au-delà de raconter la vie de cet homme, j'ose répondre à la question pourquoi il a raté et ce qu'ils se sont dit. Je ne voulais pas qu'il y ait le méchant musulman pardonné par un gentil chrétien. C'est trop simpliste. Donc, j'ai inventé l'intercession d'un personnage juif qui fait que les trois grandes religions révélées se retrouvent dans une espèce de triangle qui explique pourquoi le tir a raté.


On vous voit aussi parfois sur scène aux côtés d'autres comédiens dans Il a la côte Devos, mis en scène par Daniel Benoin...

Benoît Solès : Je suis joker sur cette pièce. C'est chaque fois un plaisir, parce que je dis des textes de Devos avec Michel Boujenah, Patrick Chesnais, Christophe Alévêque, Stéphane Guillon, Mathilda May, Julie Ferrier. C'est extraordinaire de pouvoir jouer avec ces artistes que j'adore. Effectivement, c'est un peu de la folie niveau planning, mais c'est génial. J'adore !


Et vous Pauline, quels sont vos projets ?

Pauline Lefèvre : J'ai une compagnie en Bourgogne depuis trois ans. On monte un festival chaque juillet qui s'appelle "La nuit la plus chaude" et on va faire "La nuit la plus froide" la semaine après la fin du Théâtre de l'Oeuvre, début janvier. C'est du théâtre en région, du théâtre sans théâtre, du théâtre en plein air et c'est très nouveau dans ma conception du métier et du jeu. C'est vraiment génial. On crée en très peu de temps avec des résidences de quelques jours seulement. C'est vraiment jubilatoire !


Killer Joe, création et coproduction Anthéa, mise et scène et adaptation Patrice Costa avec Pauline Lefèvre, Carla Muys, Rod Paradot, Benoît Solès, Olivier Sitruk du 27 septembre au 2 octobre à Anthéa puis du 9 octobre au 4 janvier 2026 au théâtre de l'Oeuvre à Paris.

La pièce est déconseillée aux moins de 16 ans.

Killer Joe affiche Anthéa

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