6 jours ce printemps-là : interview du réalisateur Joachim Lafosse
- Laurence Ray
- il y a 4 jours
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 3 jours
C'est toujours avec une certaine impatience que nous attendons la sortie des films de Joachim Lafosse. Réalisateur talentueux, il nous a souvent remués, bouleversés. Après Un silence avec Daniel Auteuil sorti il y a deux ans, il renoue en quelque sorte avec le thème de la famille et du couple qui est au cœur d'une grande partie de ses films précédents.
6 jours ce printemps-là, en salles le 12 novembre, suit précisément pendant près d'une semaine une mère (interprétée avec beaucoup d'humanité par Eye Haïdara), ses deux enfants et son nouvel amoureux, pendant leurs vacances dans le sud de la France, plus exactement à Gassin, à deux pas de Saint-Tropez.

Divorcée depuis peu d'un homme que l'on devine plutôt à l'aise financièrement, Sana a du mal à joindre les deux bouts et se trouve obligée de cumuler deux emplois. Le logement où elle devait aller avec ses enfants pour les vacances de Pâques n'étant plus disponible au dernier moment, elle prend la décision, encouragée par ses fils, d'aller passer quelques jours dans la maison de ses ex beaux-parents, dans le Var, pendant qu'ils ne sont pas là. Comme elle est bien consciente qu'elle est désormais une intruse dans cette famille, elle va tout mettre en œuvre qu'ils ne soient pas vus des voisins. Ils n'allument pas la lumière, font le moins de bruit possible pour ne pas éveiller les soupçons. Même si la tension grandit au fur et à mesure et que, comme Sana et ses enfants, le spectateur se demande s'ils seront découverts, le film n'en est pas moins doux et lumineux. Cette mère ne veut pas renoncer à offrir à ses enfants des vacances au bord de la mer. Derrière cette histoire somme toute assez simple, se font jour des questions plus profondes sur le déclassement social dont sont victimes les femmes après un divorce.
6 jours ce printemps-là a été présenté en avant-première au festival Cinéroman de Nice le mois dernier. A cette occasion, nous avons rencontré Joachim Lafosse qui nous a parlé de la genèse de ce film très personnel.
On devine que l'histoire du film vous est personnelle. Cela faisait longtemps que vous vouliez la raconter ?
Joachim Lafosse : En fait, ça fait presque 30 ans. Dès l'entrée à l'école de cinéma, je me suis dit qu'un jour je raconterais cette semaine de vacances qu'on a vécue avec mon frère jumeau et ma mère. Et j'ai toujours eu ça dans un coin de la tête. Puis, il m'a fallu dix films pour que le onzième devienne 6 jours ce printemps-là. Ca a été un plaisir immense de préparer le film pendant tout un hiver et de travailler avec des équipes de la région. Ca m'a donné très envie de venir vivre dans le coin !
Quand le tournage a-t-il eu lieu ?
Joachim Lafosse : L'année dernière, pendant le printemps. C'était un long tournage parce qu'on devait travailler seulement 4 heures par jour avec les enfants. On avait donc de petites journées, mais nombreuses. Aujourd'hui, on est sur des tournages plutôt à 30, 35 jours. Mais là, on était, je crois, à 47 ou 48.
Les enfants sont formidables dans le film. Avaient-ils déjà tourné avant ce film ?
Joachim Lafosse : C'était leur premier tournage. Je les ai choisis d'abord eux et puis j'ai cherché une actrice qui pouvait bien s'entendre avec eux. Je n'avais jamais fait de films avec Eye Haïdara. Je peux dire que je lui dois le film parce que je trouve qu'elle apporte vraiment quelque chose. Dans le sérieux du travail, elle m'a fait penser à Emilie Dequenne. Sur les tournage, Eye a été une complice incroyable. Je découvre avec le temps que ce n'est pas simple pour moi quand je tourne ; il faut gérer le stress, l'anxiété, les angoisses du plateau, toutes les questions qui viennent à moi. Depuis quelques films, je laisse les acteurs s'occuper des enfants, pour ne pas leur faire vivre cet état qui évolue. Avec Jules Waringo, Eye a pris en charge Téodor et Léonis. Du coup, c'est aussi ce qui fait, j'espère, une vérité de lien et qui fait qu'on y croit dans ce qu'ils sont les uns pour les autres dans ce récit.
Même si le film est empreint d'une certaine gravité, il est quand même plus doux, plus lumineux que vos précédents films....
Joachim Lafosse : Oui, bien sûr, moi, j'ai plus de facilité à revoir ce film que L'économie du couple, Les Intranquilles ou A perdre la raison, même s'il y a eu Un silence entre temps, mais ce film-là, je l'avais écrit il y a dix ans. En fait, Six jours ce printemps-là vient après Les Intranquilles et je trouve que même si Les Intranquilles était âpre, il y avait quand même déjà plus de lumière et de solutions ou de possibilités de guérison. Et dans celui-ci, il y en encore un peu plus. Etant père d'adolescents, je me dis que c'est quand même chouette de montrer des chemins possibles face à des difficultés. La situation que cette famille vit est un peu âpre, mais la leçon que cette maman donne à ses enfants durant ces jours de vacances est une façon de leur dire que quoi qu'il se passe, on ne les empêchera jamais de profiter du soleil et de la mer et qu'ils doivent surtout refuser toujours qu'on les en empêche, c'est-à-dire qu'il ne faut jamais céder sur cette liberté que nous offre la vie. On voulait que ce film soit lumineux parce que, malgré les difficultés et la manière dont ils doivent se cacher dans cette maison, ils ont quand même des moments de liberté et de respiration.
On sent que ce film vous touche particulièrement parce que vous y racontez votre vécu, vos souvenirs d'enfance...
Joachim Lafosse : Oui, Il y a beaucoup de vrai dans ce film. Avant, je me cachais derrière la fiction, mais maintenant je n'ai plus envie de le faire. Ce film est vraiment très inspiré de ma propre vie et je dirais même que la réalité est souvent encore plus complexe que la fiction. J'ai dû faire des aménagements pour tenir sur une heure et demie. Pour préparer le film, Eye n'a pas cessé de me demander de raconter ma mère. On'était donc pas en train de parler de direction d'acteur, on parlait de ce qu'on a vécu avec mon frère à dix ans, pendant cette semaine de vacances, cachés. On avait ressenti une forme d'excitation, de jubilation, à cause du fait qu'on ne pouvait pas dire à ma famille paternelle qu'on était là. Une fois adulte, et surtout en écrivant le film, je me suis rendu compte à quel point, en fait, ça nous avait angoissés. Par ailleurs, il y a aussi toute une interrogation sur les raisons pour lesquelles ma mère n'avait pas osé appeler mes grands-parents paternels en leur demandant s'ils pouvaient nous dépanner en nous prêtant leur maison.
Le film montre aussi une réalité. Votre mère, cette femme dans le film, changent de statut social et elles sont alors confrontées à des difficultés financières....
Joachim Lafosse : Exactement, dans la vie, on peut tomber dans une précarité, bien plus vite qu'on l'imagine. Un divorce peut faire tout basculer pour une femme. Jusqu'à 10 ans, ma mère ne travaillait pas, mon père et sa famille supportaient tout, et tout d'un coup, il ne s'agissait plus de ça. Je suis très heureux, d'avoir découvert un autre pan de la vie de ma mère. Cette envie de ne pas regarder les choses toujours que dans un axe et cette liberté ont sans doute joué un rôle dans tous les films que j'ai pu faire.
Dans le film, cette mère veut offrir des vacances à ses enfants mais elle n'oublie pas qu'elle est aussi une femme...
Joachim Lafosse : Ce n'est pas simple, pour un fils, de comprendre que sa mère est aussi une femme. Dans le film, le personnage d'Eye ne cède pas sur son désir. Il se trouve que c'est pendant les vacances que son fils découvre qu'elle a une aventure avec un jeune homme. C'est saisissant pour des enfants de 10 ans de découvrir ça, mais en même temps, elle leur donne là la clé de quelque chose qui fera les hommes qu'ils deviendront. C'est quelque chose que j'avais déjà travaillé en adaptant le roman de Laurent Mauvignier, Continuer. Le personnage était plus âgé, mais au fond, c'était la même logique, c'est-à-dire que c'est un fils qui découvre que sa mère a un désir aussi. C'est très important pour les hommes d'arriver à vivre avec cet énigme, avec ce mystère féminin.
Dans le film, le fait que cette femme ait une aventure avec cet homme, le moment où l'un de ses fils le découvre, tout cela est montré de manière subtile....
Joachim Lafosse : Au festival de San Sebastian, on a reçu le prix du scénario. J'étais très heureux de ça parce que, de tous les scénarios que j'ai écrits , c'est celui qui me semble le plus simple. Il est très épuré. La trame est toute simple. C'est une maman qui veut offrir des vacances à ses enfants, le plan pas cher et peu coûteux qu'elle a a foiré et ses enfants lui proposent d'aller loger dans la maison de leurs grands-parents paternels. Elle sait qu'elle ne peut pas y aller parce qu'elle vient de se séparer du père des enfants. Comme ils insistent, elle finit par accepter, mais demande aux enfants de garder le secret. En faisant naître le scénario, je me suis rendu compte que, derrière ça, il y avait une question.
Qu'est-ce qui fait qu'on pense avoir le droit d'être là ou pas, qu'on se donne une légitimité ? Ma mère a dû souffrir elle-même, enfant, de choses qui ne lui donnaient pas cette légitimité. Dasns le film, les enfants disent, d'ailleurs, à leur mère : « Mais peut-être que papy l'accepterait si on la payait... ». Ils ont raison d'insister, sauf qu' elle ne se donne pas le droit de le faire. Et je pense aussi que si elle agi ainsi, c'est clairement parce qu'on lui a bien fait comprendre qu'il ne fallait pas qu'elle essaye. Il y a énormément de gens qui ne pensent pas avoir la légitimité et qui longent les murs ou qui cachent leur existence. Quand je vois ça, j'ai envie de leur dire qu'il y a de la place pour tout le monde. C'est une chose toute simple. Quand des parents se séparent, leurs enfants ont la peau de leurs deux parents.
Et ils feront toute leur vie avec ça. Il faut que ces parents s'organisent et se parlent pour ne pas que leurs enfants aient à choisir entre l'un ou l'autre. Par exemple, peut-être que ça aurait été malin lors du divorce de dire au personnage d'Eye, « Écoute, si t'as un problème, vraiment, n'hésite pas à appeler ou va à la maison. Enfin, tu es encore la bienvenue. » En fait, le film est plus doux parce que, contrairement à tous ceux que j'ai faits avant, ce n'est pas un film sur une situation de crise. C'est un film sur juste après la crise. Mais,même après, la crise a encore des conséquences. Et ce que j'ai essayé de filmer là, ce sont les conséquences de la crise. C'est un film qui est très doux, où il y a de l'insouciance pendant ces quelques jours.
En tant que spectateurs, on ressent, un peu comme les enfants, cette inquiétude dans cette maison. On se demande s'ils vont finir par être découverts....
Joachim Lafosse : Je pense que la mise en scène, ce n'est pas tout montrer. C'est choisir ce qu'on ne montre pas. Je pense que les émotions viennent beaucoup plus de ce qu'on entend que de ce qu'on voit. Être terrifié par un son, c'est encore pire que d'être terrifié par une image. On a beaucoup travaillé sur le hors-champ. Le fait de dire tout le temps aux enfants de faire attention pour ne pas être découverts par les voisins, ça emmène vers une forme de paranoïa. Il y a quelque chose de l'ordre du conte dans cette histoire. C'est un peu la maison où les petits cochons doivent aller se cacher pour ne pas être mangés par le loup. Et tout d'un coup, il y a des loups autour. En écrivant le film, je me rends compte que les affects qu'on vivait enfants étaient des affects de terreur vraiment similaires à l'inquiétude qu'on peut avoir quand on nous raconte la chèvre de M. Seguin.
Vous parliez tout à l'heure de Laurent Mauvignier que vous avez adapté. Y-a-t'il d'autres auteurs que vous aimeriez adapter ?
Joachim Lafosse : Je viens de terminer un scénario d'un film sur un père et un fils. C'est la suite d'un film que j'ai fait en 2008 qui s'appelait Élève libre. J'ai découvert que j'écrivais la vie de Jonas, l'adolescent d'Élève libre qui est devenu père lui-même d'un adolescent et qui découvre le trauma qu'il a vécu. Rien à voir avec une adaptation. Cela dit, il y a plein de romans que j'aimerais adapter. Aujourd'hui, adapter Les Justes, ça me semble très pertinent. Je pense aussi à L'Inconnu de la Poste de Florence Aubenas qui est un grand roman d'une humanité inouïe. Dès lors qu'on aime la littérature, il y a de quoi faire !
6 jours ce printemps-là de Joachim Lafosse avec Eye Haïdara,J ules Waringo, Leonis et Teodor Pinero Muller, Emmanuelle Devos au cinéma le 12 novembre.




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