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"Jacky" d'Anthony Passeron

  • Laurence Ray
  • 31 août
  • 4 min de lecture

Anthony Passerons nous avait bouleversés avec son premier livre Les enfants endormis. C'est donc avec une certaine impatience que nous attendions la sortie de Jacky (éditions Grasset), dans lequel il relate son enfance et son adolescence et sa relation avec son père.

Ceux qui ont lu Les enfants endormis seront familiarisés avec les noms des protagonistes du deuxième roman d'Anthony Passeron : le grand-père Emile, la grand-mère Louise, qui s'est occupée jusqu'à la fin de ses jours d'Emilie, la cousine d'Anthony, malade du sida, comme sa mère et son père, Désiré, cet oncle dont l'auteur racontait la trajectoire dans son premier livre. Il évoquait également Jean-Philippe, le plus jeune frère de son père, passionné de tennis, qu'il admirait et auquel il voulait ressemblait, plus tard. Enthousiaste, bavard, entouré d'amis, il était assez différent de Jacky, son père. Dans Les enfants endormis, Désiré, l'aîné, était décrit comme étant le fils préféré. Il était parti à Nice faire des études, et, mû par des envies d'ailleurs, de liberté, il avait commencé à se droguer. Jacky, lui, était resté au village, et tenait avec ses parents la boucherie familiale. Le travail, il n'y avait que ça qui comptait. C'est ce qu'il aimait à répéter à ses deux fils. Alors que leur mère avait à cœur qu'Anthony et son frère travaillent bien à l'école, Jacky, lui tenait absolument à ce qu'ils aient des qualités viriles, qu'ils sachent se défendre voire se battre si la nécessité se présentait. C'est pour cela qu'ils ont dû prendre des cours de judo par exemple, sans grand enthousiasme et sans bons résultats. Il faut dire que dans le village où ils habitaient, à une soixantaine de kilomètres de Nice, il n'y avait pas grand-chose à faire, à part discuter sur la place du village avec ses copains, faire du vélo, faire du sport et surtout marcher.


L'ennui que l'on peut ressentir dans ses vallées quand on est jeunes était sous-jacent dans Les enfants endormis. Il constitue en quelque sorte le socle de Jacky. L'arrivée des jeux vidéo va apparaître comme une sorte de bouée de sauvetage, une échappatoire à cet ennui. C'est à Jacky, son père, qu'Anthony Passeron, doit la découverte de cet « objet » qui va l'occuper des heures entières avec son frère et ses copains. Le livre d'Anthony Passeron est découpé en trois parties suivant la chronologie de l'histoire des jeux vidéo. Reprenant un peu le dispositif de son premier livre, l'auteur entremêle les parties documentées, historiques et l'intime, l'histoire de sa famille et surtout celle de son père, Jacky. C'est ainsi que tout le monde l'a toujours appelé dans le village. Jamais Jacques. Ce diminutif qui pourrait sembler être un détail est lourd de signification et porte en lui toute une dimension sociale. Dans le livre, Anthony Passeron raconte qu'il en a pris peut-être véritablement conscience quand, alors à Nice, à la fac, il a entendu des étudiants dire que traiter quelqu'un de « Jacky » signifiait qu'il était un « beauf de campagne avec une vieille voiture pleine de gadgets ».


« Mon père a disparu en l'espace de trois consoles de jeux », tel est l'incipit de Jacky. Anthony Passeron a fait le choix judicieux de raconter en trois chapitres comme trois parties de jeux vidéo la déliquescence de sa famille, dans laquelle le malheur et la mort se sont introduits avec fracas.

La voix d'Anthony Passeron adulte et désormais écrivain se confond souvent avec celle du narrateur enfant et adolescent, spectateur impuissant du délitement de sa famille. On devine que les blessures sont encore bien présentes. Anthony Passeron ne cherche pas à susciter l'émotion et pourtant, par une écriture subtile qui, en racontant des moments de vie, ne s'encombre pas de détails inutiles, il parvient à émouvoir le lecteur. Les jeux vidéo ont rythmé sa vie et celle de son frère : ils ont été source de moments de partage, se substituant souvent à la parole et aux échanges car -c'est la mère qui le dit- chez les Passeron, les hommes montrent peu leurs émotions et ne pleurent pas. C'est leur père qui leur a offert leur première console de jeux vidéo. Abandonnant quelques instants les clients de la boucherie, il avait joué avec eux un matin de Noël, partageant avec eux la joie de la découverte de ce loisir qui allait les occuper pendant tant d'années. Des moments comme celui-là, il y en aura encore mais ils se feront rares car Jacky va être moins présent, se montrer de moins en moins loquace ou, au contraire, être en proie à des accès de colère au fur et à mesure que la maladie puis la mort vont s'insinuer dans la famille. Comme la boucherie familiale commence à battre de l'aile depuis qu'un hypermarché a ouvert dans la plaine du Var, il va devoir aller travailler ailleurs. Les mois et les années passent, et Anthony et son frère continuent à jouer aux jeux vidéo, tous les deux, avec leurs copains du village ou même avec leur cousine Emilie, dont l'état de santé va décliner progressivement. Le dernier moment qu'ils passeront avec elle, ce sera précisément lors d'une partie de jeux vidéo, où ils ne se parleront pas vraiment, la console servant encore d'intermédiaire pour pallier à l'absence de communication.

Au-delà des drames, le livre montre aussi avec beaucoup d'intelligence ce sentiment d'enfermement qui gagne peu à peu les hommes de cette famille d'un village de l'arrière-pays niçois où tout le monde se connaît. Ils ont des envies d'évasion et de liberté. Certains font le choix de partir, d'une manière ou d'une autre. D'autres doivent attendre. Leur heure viendra assurément car une meilleure perspective les attend, ailleurs. C'est le cas d'Anthony et de son frère. L'un de leurs professeurs s'efforce de le leur faire comprendre, en leur parlant de la statue d'Aristide Maillol « L'action enchaînée » qui trône fièrement à l'entrée du village, comme une métaphore.

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