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"On ira" au cinéma : interview de la réalisatrice Enya Baroux

Laurence Ray

Il fallait oser faire rire avec un thème aussi grave que celui du suicide assisté ! Avec On ira, son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Enya Baroux a réussi une comédie émouvante, drôle et lumineuse. Après avoir séduit le public du festival de l'Alpe d'Huez, le film sortira en salles mercredi 12 mars.


Si récemment Almodovar avec La chambre d'à côté et Costa-Gavras avec Le dernier souffle ont fait de la fin de vie le sujet central de leurs films, Enya Baroux, a fait le choix d'aborder ce thème par le prisme du road-trip et de la comédie. Marie, une octogénaire atteinte d'un cancer incurable (formidable Hélène Vincent) a décidé de partir en Suisse pour procéder à un suicide assisté mais elle ne parvient pas à l'annoncer à son fils quelque peu immature (David Ayala), et à sa petite-fille adolescente (Juliette Gasquet). Assistée dans cette démarche par son aide-soignant (Pierre Lottin) qu'elle a mis dans la confidence, elle va prétexter un héritage à aller récupérer en Suisse. Voilà alors toute la famille embarquée dans un camping-car pour un périple rempli de péripéties et de moments de complicité.

Il y a quelques jours, Enya Baroux était à Nice pour présenter le film en avant-première au Pathé Masséna. Nous avons pu la rencontrer.


Pour aborder le thème du suicide assisté, vous avez choisi la comédie. Pourquoi ?

Enya Baroux : Je crois que c'est ma manière de dédramatiser mes angoisses. Ce n'était donc pas envisageable de l'aborder autrement que par ce biais-là. Je trouve que la comédie permet de désacraliser, de mettre à distance, de parfois ouvrir des sujets de conversation qui peuvent être tabous.


A la fin du film, il est écrit « à ma grand-mère ». C'est donc un hommage que vous lui rendez...

Enya Baroux : C'est un hommage à ma grand-mère, exactement. J'ai voulu écrire un film qui parle d'elle, de la relation que j'entretenais avec elle. Ma grand-mère a eu une maladie, un cancer, exactement comme Marie, et je me suis beaucoup occupée d'elle dans sa fin de vie. Elle n'était plus du tout autonome, assez diminuée. Elle a eu une fin de vie assez triste. Alors qu'elle était quelqu'un de très indépendant, qui n'avait besoin de personne. Donc ça m'a beaucoup, beaucoup marquée. Et quand elle est partie, j'ai voulu lui écrire un film pour corriger cette fin de vie-là, et en écrire une autre. Je me suis imaginé ce qui se serait passé si elle avait eu le choix, et si on le traitait en comédie, parce qu'elle avait beaucoup d'humour.


En suivant cette famille embarquée dans un road trip, on pense évidemment à Little Miss Sunshine...

Enya Baroux : D'abord, je me suis dit que j'avais envie de réécrire la fin de vie de ma grand-mère. Comme le suicide assisté est illégal en France, il faut aller ailleurs. Et puis, je me suis dit : et si je faisais un road trip de ma grand-mère, qui part de là où elle habite jusqu'à la Suisse, en camping-car ? J'étais très inspirée par Little Miss Sunshine, qui est vraiment l'un de mes films préférés depuis toujours. Je trouvais que l'espace restreint de ce camping-car permettait beaucoup de comédie aussi, beaucoup de quiproquos.


Bande-annonce du film "On ira"

C'est Hélène Vincent qui interprète cette grand-mère atteinte d'un cancer incurable et qui décide d'aller en Suisse. Ce rôle fait écho à celui qu'elle avait dans Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé. C'est ce film qui vous a fait penser à elle pour On ira ?

Enya Baroux : En fait, j'avais vu la bande-annonce, je savais qu'Hélène Vincent jouait dans ce film-là et je connaissais le sujet. Donc, quand je lui ai proposé le rôle, je me suis dit que c'était quitte ou double. Comme elle avait déjà fait ce rôle-là, soit ça ne l'intéressait plus, soit elle considérait que les rôles étaient différents. Je n'avais pas vu le film de Stéphane Brizé. Je l'ai vu seulement une fois mon film terminé. Hélène me disait souvent qu'il y avait des similitudes entre les deux films. Quand je l'ai vu, j'ai pensé que j'avais bien fait de ne pas le voir avant parce que ça m'aurait sûrement restreint dans l'écriture et ça aurait été dommage. Ils traitent le sujet d'une manière complètement différente. Je crois qu'il n'y a pas de comparaison possible. En tout cas, Hélène a trouvé que les rôles étaient diamétralement opposés. Et c'est pour cette raison qu'elle a accepté de le faire.


Votre film parvient à maintenir un juste équilibre entre le rire et l'émotion...

Enya Baroux : J'ai co-écrit ce film avec Martin Darondeau et Philippe Barrière. On était trois. Je pense qu'on s'est toujours donné comme ligne directrice de ne pas être trop dans le gag, ni dans le drame. On savait dans quoi il ne fallait pas tomber des deux côtés. Et puis, c'est aussi notre manière d'aborder beaucoup de sujets, à Martin et à moi. On aime bien rire des choses qui nous font peur et être cyniques sur des sujets tabous, déranger un peu. Je crois que c'est ce qu'il y a de commun à ce film et à notre mini-série « Fleur bleue ». Ils sont diamétralement opposés dans ce qu'on raconte, mais ont cette chose en commun de parler de sujets sensibles, tabous et d'essayer d'en rire. Comme On ira a mis sept ans à se faire, on a eu sept ans pour travailler le scénario, ce qui est beaucoup. On a fait Fleur Bleue avec Martin parce que le film ne se finançait pas, qu'on n'y arrivait pas, que tout Paris nous disait non. On m'a dit des phrases comme « Qui va aller voir un film sur la fin de vie ? » « On ne peut pas rire de ce sujet-là ». Il y a eu un moment où j'avais tous mes acteurs mais je n'avais pas d'argent. Il a fallu donc un moment se détourner de ce film pour faire autre chose, pour retrouver de l'énergie. C'est ce qu'on a fait avec Fleur Bleue. C'est un peu le petit frère de mon film parce que ce programme a aidé mon film à se faire aussi. Les financiers se sont peut-être dit que notre univers, ce sont des sujets qui dérangent, mais avec toujours de l'humour.


Le film aborde plusieurs thèmes. Outre le suicide assisté, il évoque aussi le fait que c'est parfois difficile de communiquer au sein d'une famille...

Enya Baroux : Exactement ! Parfois, j'aime à penser que le thème principal, c'est davantage ce problème de communication. Évidemment, il y a deux thèmes qui se croisent, la liberté de choisir sa fin de vie et la non-communication qu'il peut y avoir dans une famille sur ces sujets-là. Je crois que les non-dits, les tabous que vit cette famille sont liés, justement, au poids, à la lourdeur de ces thèmes que sont la mort, la vieillesse, la fin de vie. C'est parce qu'il y a ces tabous, il y a ces choses dont on ne doit pas parler, que Marie se retrouve à devoir mentir et qu'elle est incapable d'annoncer la vérité à sa famille. Je crois qu'on peut comparer ça à plein d'autres sujets dont on ne parle pas dans certaines familles. En ce qui me concerne, le fait de ne pas avoir pu aborder le départ de ma grand-mère et sa maladie, ça m'a manqué. Justement, moi, je me suis retrouvée plein de fois dans ma famille à vouloir faire des blagues sur ma grand-mère à table, et ça mettait un froid parce que tout le monde était triste de parler de ma grand-mère qui n'était plus là. J'ai senti que ça pouvait être salvateur d'en parler davantage. C'est un film sur la non-communication et sur le fait qu'il faut communiquer. Il faut pouvoir parler de sa fin de vie quand on est encore enfant. Il faut pouvoir parler de ce qu'on veut pour soi, pour ses parents, pour ses grands-parents.


Peut-on considérer que vous avez fait un film engagé, militant ?

Enya Baroux : Je me le demande souvent. Je n'aime pas trop ce terme. parce que je trouve que justement, le travail que font les militants, les gens des associations, c'est un véritable travail sur le terrain. C'est tellement plus important que ce film, en vérité. Au cinéma, j'ai besoin qu'on aborde d'une autre manière ces sujets-là. J'espère donc que ce film, en abordant ce sujet par la comédie, permetra d'ouvrir la discussion et d'amener le sujet à des gens qui peut-être n'en auraient jamais parlé entre eux. J'espère que ça fera évoluer les choses, que les gens en parleront plus et qu' à terme, ils auront peut-être un point de vue politique sur la question. Mon envie de base, c'était de faire un film sur sur mon expérience avec ma grand-mère. Ce qui arrive me dépasse. Figurez-vous que le 18 mars, je vais présenter le film à l'Assemblée nationale. J'irai avec des gens de l'association.


Quels souvenirs gardez-vous du tournage ?

Enya Baroux : Quand j'étais assistante, j'avais entendu que plus les sujets des films sur lesquels on travaille sont durs, plus les tournages sont légers et amusants. C'est ce qui s'est passé sur le tournage du film. Tout était super joyeux. Il y a eu une espèce de synergie de groupe qui s'est créée où tout le monde s'est trop bien entendu. Pourtant le tournage n'a duré que 26 jours. On a beaucoup ri ; c'était l'été, on a tourné dans le sud de la France. Il faisait beau, tout le monde était très content d'être là. Personne n'est rentré chez soi pendant 6 semaines donc vraiment ça a fait une espèce de colonie de vacances qui était absolument géniale et quand il y avait des moments d'émotions à tourner on était tous pris dedans. Je crois que tout le monde avait compris à quel point ce récit-là était important pour moi. En plus, comme c'était mon premier film, il y avait vraiment une bienveillance dans l'équipe. Ca m'a beaucoup touchée !


Pourquoi avez-vous tourné dans le Sud de la France ?

Enya Baroux : La vérité c'est que d'abord je voulais tourner en Normandie, parce que je ma grand-mère était normande. Mais on n'a pas eu l'aide de la région Normandie donc il a fallu réfléchir à une autre région. Comme j'avais tourné un court-métrage en région PACA, à Nice, et qu'on avait adoré l'expérience, on s'est dit que c'était la région idéale pour le film. Cinématographiquement, visuellement c'est très beau et puis on avait envie d'un film solaire, où il fait chaud, où on puisse passer par des décors qui peuvent être autant un lac que la montagne, que peut-être la mer ou des petites villes avec des tons ocres. On a demandé des financements à la région PACA et, du coup, on a retrouvé une partie de l'équipe de nos courts-métrages. On a tourné vers Cabriès à côté de Aix-en-Provence, à Martigues, vers l'Étang de Berre, à Port-de-Bouc. On a rayonné autour d' Aix-en-Provence. C'était trop bien !



Dans le film, il y a quatre personnages. On se doute que Marie, la grand-mère, ressemble à la vôtre. Et les autres, ont-ils des points communs avec des personnes qui vous sont proches ?

Enya baroux : Anna, la petite-fille, est inspirée de moi quand j'étais ado. Marie c'est clairement ma grand-mère. Quant à Bruno, il est un peu inspiré de mon père. Evidemment le trait est grossi pour la comédie bien sûr mais il y a quand même des choses inspirées de ce que j'ai pu vivre ou mettre dans ma relation avec mon père. Rudy c'est un personnage qui est inspiré de deux aides-soignantes qui se sont occupées de ma grand-mère en fin de vie et qui ont beaucoup compté pour elle. Ca me tenait vraiment à cœur de parler de ce métier d'auxiliaire de Vie parce que ce sont des gens qui font un métier vraiment sous-estimé. Ces personnes-là prennent une place hyper importante dans les moments peut-être les plus durs de la vie de quelqu'un. Ces dames qui s'occupaient de ma grand-mère enchaînaient les personnes âgées ; elles en avaient 3 ou 4 par jour et elles étaient très tristes quand la personne âgée partait. Elles ont beaucoup compté pour nous, pour ma grand-mère et elles ont fait en sorte que la fin de vie de ma grand-mère soit plus douce et pour nous et pour elle. On m'a souvent demandé pourquoi je n'avais pas pris une femme pour jouer le rôle de Rudy, et je réponds toujours que c'est parce que je voulais Pierre Lottin.


Il n'y a pas que des actrices et des acteurs dans le film. Il y a aussi un rat. Pourquoi un tel choix ?

Enya Baroux : A la base, on voulait un chat et un jour on est venu nous voir en nous disant que ce serait trop cher de tourner avec un chat. Ca nécessitait un dresseur et plusieurs chats. Un matin, Martin Darondeau est arrivé au bureau de prod en me proposant de mettre un rat et là je suis tombée de ma chaise. Je lui ait dit que c'était une drôle d'idée et que c'était dégoûtant un rat ! Puis, au bout de trois heures, j'ai fini par accepter. Tout le monde était mort de rire dans le bureau et on a donc contacté une dresseuse de rats. On a eu six rats pour tourner. Je trouve que ça définit bien le personnage de Rudy ; ça le rend à la fois marginal, touchant aussi et puis drôle. Il a fallu que les comédiens s'adaptent parce qu'ils n'étaient pas fan de l'idée !


On ira affiche film Enya Baroux

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