Il est des pièces de théâtre qui marquent les esprits et dont on se souvient longtemps. Après la répétition/Persona, mis en scène par Ivo Van Hove fait partie de cette catégorie. Après s'être emparé avec brio de Tartuffe de Molière l'année dernière, le metteur en scène belge était de retour à Anthéa il y a quelques jours avec ces deux récits du réalisateur suédois Ingmar Bergman, qui abordent le thèmes des affres de la création et du jeu théâtral. Un spectacle de près de trois heures, dont on sort remué, déstabilisé.
Après la répétition se concentre sur un metteur en scène fatigué, qui s'apprête à monter Le Songe de Strindberg. Ivo Van Hove a confié ce rôle à Charles Berling. La pièce n'a pas encore commencé qu'on le découvre assis sur un canapé, un texte à la main, concentré. Face à lui, Anna (Justine Bachelet), une jeune comédienne ambitieuse qu'il juge sans réel talent et pour laquelle il semble éprouver une certaine attirance. Plus tard, -on devine que c'est dans le rêve du metteur en scène-, sa mère (magnifique Emmanuelle Bercot), qu'il connaît bien et qu'il a aimée, fait une arrivée tonitruante. Comme elle ne trouve plus de rôles à la mesure de son talent, elle souffre terriblement. Ivre, elle se plaint de ne pas avoir eu le premier rôle dans sa nouvelle production. Durant la pièce, il va dialoguer avec les deux femmes, et les séduire l'une après l'autre.
Dans Persona, sans doute l'un des meilleurs films de Bergman, il est aussi question de théâtre. Une comédienne, Elisabeth Vogler, s'est brutalement arrêtée de parler. D'abord envoyée dans une clinique, elle part se reposer au bord de la mer en compagnie d'une infirmière, Alma. Si l'une est muette, l'autre est volubile. Elle parle comme pour combler le vide causé par les silences de cette actrice apeurée et d'abord recroquevillée sur elle-même, entièrement nue. Dans Après la répétition, Emmanuelle Bercot laissait éclater sa colère et sa souffrance ; dans « Persona », elle livre une performance impressionnante, sans prononcer (presque) le moindre mot. S'instaure une forme de dialogue entre les deux femmes : Elisabeth Vogler s'ouvre peu à peu, en même temps que les décors changent. En passant de la froideur de l'hôpital à l'eau rassurante à fonction cathartique qui borde la maison de campagne où Elisabeth se repose en compagnie d'Ama, Ivo Van Hove offre une scénographie à couper le souffle. La plateau, véritablement recouvert d'eau, prend l'allure d'un île. Les deux femmes s'éclaboussent, se prélassent dans cet élément apaisant, qui va contribuer à libérer la parole.
Dans les deux pièces que Ivo Van Hove met en parallèle, le langage des corps est tout aussi important que la parole. Les personnages souffrent, exultent. Leurs sentiments sont exacerbés : ils s'entendent autant qu'ils se voient. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles la pièce remue autant le spectateur. Si dans « Après la répétition », le désir profond voire vital de jouer et de mettre en scène s'expriment avec force dans la parole, dans « Persona », c'est le corps de l'actrice qui parle, se substituant aux mots qui ne veulent plus sortir.
Ceux qui connaissent un peu l'oeuvre de Bergman, savent à quel point l'âme humaine et les rapports entre les êtres ont traversé la plupart de ses films. Dans « Persona » et « Après la répétition », on voit combien l'art peut être destructeur, au point de rendre la réalité incertaine et difficile à affronter.
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